J’aime quand la bonne visualisation de données émerge d’endroits improbables. J’ai donc découvert avec délice les derniers développements du projet de Sandrine Huot, étudiante au doctorat à l’Université Laval et participante à une de mes formations en visualisation de données en 2020.
Et il remet en question certaines idées reçues sur la visualisation de données.
Sandrine a maintenant pleinement développé un concept visuel pour informer les patients et le personnel médical sur l’état de santé des personnes atteintes de lupus.
Ses graphiques rendent compte du niveau d’activité de la maladie, de la comorbidité, de l’âge, des médicaments, de la santé physique et mentale et ils ressemblent à… des papillons.
Voyons comment la visuel fonctionne.
- Aile supérieure gauche : niveau d’activité du lupus
- Aile supérieure droite : Comorbidité
- Aile inférieure gauche : santé physique (plus de lignes = meilleure)
- Aile inférieure droite : santé mentale
- Le corps montre 4 traitements
- Sous le corps, un chiffre représente l’âge du patient.
Couleurs:
- Blanc ; Aucun
- Lilas : Faible
- Rose : Modéré :
- Rouge : élevé
Inclinaison : genre
- Droite: Femmes
- Gauche: Hommes
J’adore ce détail : si l’inclinaison gauche signifie homme et l’inclinaison droite femme, aucune inclinaison représente donc une personne qui ne s’identifie à aucun des deux sexes.
Maintenant, regardons comment cela fonctionne pour une patiente pendant quatre ans.
Je vous encourage à alterner entre la légende et cette image pour vous familiariser avec l’encodage et révéler progressivement à vos yeux le parcours de cette patiente (il y a eu quelques surprises pour moi!).
Il est probable que vous ne verrez pas tout de suite l’évolution de la patiente. Elle se révélera au fur et à mesure que vous vous familiariserez avec le visuel. Cela peut vous sembler être un échec de la visualisation si vous pensez que tout bon graphique doit être intuitif et compris en trois secondes.
Mais il n’y a rien de mal à ce qu’une visualisation nécessite une certaine acclimatation. Hans Rosling prend environ 45 secondes pour expliquer ses nuages de points mobiles et ils sont considérés comme un chef-d’œuvre. C’est que l’effort est récompensé.
L’objectif de Sandrine est de faire adopter le papillon dans le monde entier pour les patients atteints de lupus et leur personnel soignant. Elle travaille à cette fin avec Simon Coulombe. Les papillons auront ainsi la possibilité de devenir familiers et intuitifs pour leur public cible.
Mais pourquoi un papillon ? Parce que c’est le symbole du lupus, le symptôme le plus visible étant une marque rouge en forme de papillon sur le nez et les joues. Très astucieux.
Une approche humaine des données de santé
Comparez cette approche à l’article publié par Edward Tufte et Seth Powsner dans le Lancet en 1994, dont l’objectif est similaire : fournir un « résumé graphique de l’état du patient à superposer au dossier médical traditionnel ».
Je ne veux pas opposer directement les deux graphiques, car ils ne montrent pas exactement la même chose. Et il ne fait aucun doute que l’approche de Tufte a constitué un énorme progrès, par rapport aux dossiers manuscrits des patients.
Mais nous ne sommes pas obligés de nous en tenir à ce qui était avant-gardiste au milieu des années 90.
Le visuel de Tufte n’a rien à voir avec la maladie. Il est riche, dense et résume parfaitement sa philosophie : laisser parler les données, maximiser le rapport données/encre et éviter la pollution visuelle.
Une approche clinique de la visualisation, assurément.
Mais tout comme la dataviz, les soins de santé sont destinés aux humains. Des humains qui ont peur, qui espèrent, qui font de l’évitement, qui sont bien intentionnés et tout ça. Que pouvons-nous faire pour que leurs données leur parviennent de manière à ce qu’ils puissent les recevoir ?
Aiment-ils se voir en points noirs et en lignes fines? Est-ce ainsi qu’ils ressentent leurs symptômes?
Dans « PowerPoint is Evil », Tufte a souligné l’importance de traiter avec respect des sujets sérieux comme les taux de survie au cancer, et il a raison sur ce point. Mais qu’en est-il de l’empathie ?
Nous avons vu beaucoup de noir utilisé par les médias dans les graphiques pour représenter les personnes qui sont mortes. Je crains que, bien que ce choix soit très prudent, ce soit une approche peut-être trop courante. Un grand égalisateur, peu importe qui est mort.
Dans ces graphiques, nous voulons attirer l’attention sur leur mort, c’est certain, mais qu’en est-il de leurs vies écourtées ? Chacune de ces personnes est-elle définie par sa mort, ou avons-nous perdu quelque chose de coloré et de chaleureux lorsqu’elles nous ont quittés ? Est-ce que cela peut aussi être exprimé ?
Sandrine a utilisé du violet, du rose et du rouge, des couleurs pas vraiment sobres. Ce n’est pas innocent : le violet est la couleur officielle des campagnes de sensibilisation au lupus. Là encore, un lien avec la réalité vécue par les patients.
L’objectif de Sandrine est d’apporter un peu de légèreté à la lourdeur de la maladie. Rien de mal à cela.
Après avoir identifié les indicateurs cliniques les plus importants du lupus, elle s’est attachée à développer dès le départ un visuel attractif. C’est la clé !
Regarder à l’extérieur
Ce que je partage ici, ce ne sont pas des convictions de longue date, mais des choses que j’ai apprises grâce au travail de Sandrine.
Comme je l’ai dit dans le fil de discussion original l’année dernière, je n’aurais jamais adopté cette approche. J’ai pensé que c’était divertissant mais pas très perspicace. J’avais tort.
J’ai beaucoup appris de cette scientifique qui travaille sur cette maladie imprévisible et qui a été inspirée pour appliquer des approches de visualisation non conventionnelles à ses recherches sur le lupus.
Cela me rappelle Ed Hawkins, le climatologue qui a créé les bandes de réchauffement, une visualisation au succès fulgurant. Libéré des conventions et même des connaissances, il a été plus à même d’innover.
Si j’ai une conclusion à tirer, c’est que nous devrions continuer à regarder en dehors de notre domaine pour trouver de l’inspiration, qu’il s’agisse d’idées de non-experts ou même de produits, de conventions et d’innovations qui n’ont rien à voir avec la visualisation.
Francis Gagnon est designer d'information et le fondateur de Voilà: (2013), une agence de visualisation de données spécialisée dans le développement durable.