Comment aborder et présenter les données de manière responsable, avec intention et précision? Le guide Do No Harm (en anglais) pour la visualisation des données, publié par Jon Schwabish et Alice Feng (Urban Institute) cette année, présente un ensemble de recommandations dans une optique d’équité.
Les auteurs soulignent qu’il ne s’agit pas d’un ensemble de règles universelles, mais que les recommandations du guide doivent être adaptées aux besoins particuliers d’un projet et d’une organisation.
Le 30 septembre étant la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada, j’étais curieuse de voir comment ce guide pouvait être appliqué à des contextes locaux de réconciliation, d’équité et de relations avec les peuples autochtones. Je vous présente ici cinq points à retenir du guide Do No Harm que je relie à quelques réflexions, ressources et exemples.
Chez Voilà:, nous espérons que ce n’est que le début de ces conversations et que cela suscitera d’autres questions, pensées et dialogues.
1. Reconnaissez le contexte et l’histoire qui ont façonné le problème que vous visualisez.
Il est important de réfléchir de manière critique non seulement aux données qui se cachent derrièreGuide Do No Harm, Chapitre 5 la visualisation, mais aussi au contexte dans lequel ces données existent.
Lorsque vous créez une visualisation de données sur un thème spécifique, réfléchissez aux facteursGuide Do No Harm, Chapitre 1 qui ont contribué aux inégalités, aux injustices et aux disparités dans ce domaine. Ces facteurs peuvent être des politiques, des institutions ou des acteurs, ainsi que des histoires d’abus, de racisme, de discrimination, etc.
Quand on parle de réconciliation, ce qui saute aux yeux, c’est la Loi sur les Indiens de 1876 qui comprenait des politiques sur les pensionnats, les réserves et les très nombreux héritages qui ont suivi. Qu’il s’agisse de problèmes de logement, d’insécurité alimentaire, de langues ou d’éducation, il serait difficile de trouver une question qui ne soit pas touchée par ces histoires d’une manière ou d’une autre.
Ensuite, reconnaissez cette histoire et ce contexte dans la façon de présenter vos données. Cela peut se traduire par l’intégration de cette reconnaissance dans votre visualisation de données, votre infographie ou le texte qui l’accompagne.
Le guide Do No Harm considère tout cela comme faisant partie du processus de visualisation des données, et non comme une étape supplémentaire facultative. Donc, la prochaine fois que vous créerez une carte des niveaux d’éducation dans votre province, par exemple, prenez quelques minutes pour faire un peu de recherche afin de voir comment cette question a pu être influencée par les politiques et les histoires coloniales. Ce n’est pas une perte de temps, mais simplement une partie du travail.
Voici quelques ressources pour vous aider à démarrer (liste non exhaustive) :
- Rapports de la Commission de vérité et de réconciliation et sa version lue à haute voix en audio-vidéo
- Le livre de Bob Joseph, 21 Things You May Not Know About the Indian Act (en anglais)
- Indigenous Canada, un cours en ligne gratuit offert par l’Université de l’Alberta sur Coursera (en anglais)
- Un atlas web interactif du Canadian Geographic, Atlas des peuples autochtones du Canada.
Chez Voilà:, nous prenons le temps de nous informer à notre tour. Sur notre liste de films à regarder cette semaine : ce documentaire par Al Jazeera sur les pensionnats autochtones, et une sélection de films faite par l’Office national du film (ONF).
2. N’oubliez pas que les données reflètent la vie et les expériences de vraies personnes.
En tant que personnes qui créent des visualisations de données, il est de notre responsabilité d’aider nos lecteurs à comprendre cela.
Cela peut se faire en rappelant qui sont les points que les données représententGuide Do No Harm, Chapitre 2, réintroduisant de l’empathie dans l’expérience des données par le biais de visages et de photographies. Un article de CBC News sur les femmes autochtones disparues et assassinées, par exemple, présente les cas de femmes disparues à travers une visualisation abstraite, ainsi que des portraits et des histoires (en anglais).
Nous pouvons aussi laisser les lecteurs se situer dans les données. La populaire application Native Land, par exemple, permet aux lecteurs de localiser l’endroit où ils vivent. En recherchant la terre où ils se situent, ils peuvent trouver leur propre lien avec les personnes qui ont pris soin de cette terre depuis des temps immémoriaux.
De même, la carte First Peoples’ Map of BC (en anglais) relie les lecteurs aux langues, aux arts et à la culture indigènes en leur permettant de filtrer et de zoomer sur les zones géographiques qui les intéressent.
Avant tout, n’oubliez pas que le terme « peuples autochtones » est monolithique. Les Inuits, les Métis et les Premières nations entrent tous dans cette catégorie, mais comprennent une grande diversité de personnes. Par exemple, l’Encyclopédie canadienne indique qu’il y a 634 Premières Nations au Canada, parlant plus de 50 langues distinctes.
3. Exercez votre pouvoir avec prudence et présentez les données avec intention.
N’oubliez pas que le cadrage que nous faisons d’un certain problème (ce sur quoi nous choisissons de nous concentrer et ce que nous choisissons d’ignorer) peut influencer la perception de soi ou le traitement des personnes représentées par les données, ainsi que la perception des problèmesGuide Do No Harm, Chapitre 3 que nous visualisons par nos lecteurs. Il est impératif de manier ce pouvoir avec précaution.
Parfois, le sujet que nous visualisons nous oblige à en assumer la complexité. Au lieu de prétendre que les données sont neutres ou objectives, nous devrions parfois intégrer le contexte de diverses voix, en saisissant l’occasion de faire entendreDo No Harm Guide, Chapter 11 celle des gens et leurs expériences vécues, pour aider le lecteur à mieux comprendre le sujet en question.
Les visuels eux-mêmes ont aussi une grande influence. Nous devons être conscients de la façon dont tout, de la couleurGuide Do No Harm, Chapitre 9 à l’ordonnancement de nos donnéesGuide Do No Harm, Chapitre 7, peut encoder un sens, que ce sens soit intentionnel ou non. Évitez d’utiliser des icônes qui dépeignent ou renforcent les stéréotypesGuide Do No Harm, Chapitre 10, qui montrent des personnes comme des victimes sans défense ou qui renforcent les hiérarchies de pouvoir.
4. Pensez à votre langage.
Bien que nous travaillions dans le monde des visualisations de données, les visuels ne sont pas la seule chose que nous créons. Nos données sont présentées avec des titres, des sous-titres, des étiquettes, des légendes, du texte de remplacement, et bien plus encore.
Il est important que, lorsque nous faisons référence à des personnes, nous identifions et utilisions la terminologie qu’elles préfèrentGuide Do No Harm, Chapitre 6. Pour faire référence à une communauté spécifique, il est donc préférable d’utiliser le nom que cette communauté (ou Première Nation) préfère ou utilise publiquement.
Le problème est que la langue évolue : ce que nous pensons être acceptable peut ne plus être la terminologie préférée aujourd’hui. Il n’y a pas de honte à revérifier.
Voici quelques ressources et guides que nous avons trouvés, lorsque nous parlons de peuples et de groupes autochtones :
- Une guide terminologique du gouvernement (assez ancienne)- version html ici. Et quelques guides plus récents d’autres organisations ici et ici.
- Un long lexique des termes préférés, spécifique à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées
- Un guide de rédaction du journal Tyee (en anglais)
- Directives linguistiques de l’Université de la Colombie-Britannique sur les peuples autochtones (en anglais)
- Elements of Indigenous Style : A Guide for Writing By and About Indigenous Peoples de Gregory Younging, et un résumé utile du livre (en anglais)
L’utilisation de la langue peut également être l’occasion d’utiliser les noms de lieux traditionnels chaque fois qu’on crée une carte géographique. Un bel exemple en est la carte impressionnante Coming Home to Indigenous Place Names in Canada (en anglais) par la cartographe Margaret Wickens Pearce, qui célèbre les noms de lieux autochtones anciens et récents par le biais de la cartographie.
Autres exemples de cartographie des noms de lieux traditionnels actuels : la carte interactive Pan Inuit Trails, le programme Place Names au Nunavut, la carte ʔəms gɩǰɛ (Notre terre) de la nation Tla’amin, et une perspective ojibwée des Grands Lacs (Nayanno-nibiimaang Gichigamiin).
5. Chaque fois que cela est approprié, faites des recherches et racontez des histoires avec les communautés, non pas en leur nom. Ne supposez pas, demandez.
Bien que ce conseilGuide Do No Harm, Chapitre 4 semble être plus adapté à la recherche et à la collecte de données, je me suis demandé si, et comment, nous devrions nous engager avec les gens dans un projet de visualisation.
Tout comme la visualisation repose sur l’expertise en la matière, elle devrait également être basée sur la connaissance des communautés dont les histoires sont racontées par les graphiques.
Lorsque l’on visualise un sujet centré sur un groupe de personnes ou un lieu particulier, il peut toujours être important de bâtir des relations avec les communautés concernées. Cela vous permet d’obtenir des retours constructifs (n’oubliez pas de valoriser, de créditer et de rémunérer correctement le temps des gens!)
Pour cela, la réciprocité est essentielle. Soyez conscient de la lassitude à l’égard de la recherche (« research fatigue »), faites preuve de diligence raisonnable et informez-vous avant de charger les autres de la responsabilité de vous enseigner.
Voici une liste de liens pertinents pour commencer, si vous décidez de collaborer et de faire des recherches avec des communautés autochtones :
- Les principes de PCAP (Propriété, Contrôle, Accès, Possession)
- Une liste de ressources pour les universitaires intéressés par la recherche avec les Premières Nations, par le First Nations Health Authority (FNHA) (en anglais)
- Groupe en éthique de la recherche, un chapitre sur l’interprétation de leur cadre d’éthique de la recherche dans les contextes autochtones.
- L’initiative BC First Nations’ Data Governance (en anglais)
- Boîte à outils des principes de la recherche en contexte autochtone de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL)
Le guide Do No Harm contient bien d’autres informations qui ne sont pas abordées ici. J’espère donc que vous y jetterez un coup d’œil et que vous verrez quelles sections vous pouvez appliquer à vos propres contextes et à votre travail.
Pour nous qui sommes au Canada, il y a beaucoup à apprendre sur la façon dont nous pourrions adopter des mesures concrètes pour améliorer notre façon de visualiser les données avec intention, objectif, vérité et réconciliation. Poursuivons la conversation.
Patricia Angkiriwang était programmeuse et designer d'information chez Voilà: Son rôle était de mettre en œuvre des visualisations de données interactives et de concevoir des visuels pour les projets des clients. Aujourd'hui, elle travaille à titre de développeuse front-end pour la transition vers une énergie plus propre.