Pour souligner les 10 ans de Voilà:, voici 10 choses sur lesquelles j’ai changé d’avis depuis mes débuts en tant que designer d’information.
Vision initiale
1. Les visualisations n’ont pas à être belles
Vers 2012, je travaillais sur la refonte de rapports de gestion pour une organisation internationale. Une collègue me demande poliment «Est-ce qu’on pourrait rajouter quelques couleurs, peut-être?» Je lui réponds que non, que le noir et blanc avec une touche de rouge suffisent à communiquer toute l’information. Mes graphiques sont denses et pas très jolis, mais tout est lisible et clair. Je crois alors fermement que l’information qu’ils contiennent suffira à les rendre attrayants.
Aujourd’hui, je répète souvent que l’on «communique avec des humains» et que ceux-ci aiment ce qui est beau. La beauté nous attire et nous fait plaisir. Elle est un atout, même pour ceux qui cherchent uniquement à communiquer clairement à un auditoire ciblé.
De la même façon qu’un plat nutritif gagne à être délicieux, un graphique analytique gagne à être beau.
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2. La visualisation repose sur un ensemble de règles
En 2011, fort de mes nouvelles connaissances en visualisation, j’ai commencé à en enseigner les règles immuables, basées sur nos connaissances de la perception visuelle.
Mais à force de me faire poser de bonnes questions par les participant·es, à force d’avoir des client·es qui me démontrent que ma règle ne leur sert pas, à force d’observer qu’une pratique honnie fonctionne dans d’autres contextes, j’ai changé mon fusil d’épaule. La visualisation n’est pas un ensemble de règles à suivre. C’est un langage flexible qui nous permet de faire des choix.
Vous tenez à faire un graphique en tarte avec 24 pointes pour bien montrer qu’il s’agit des parties d’un tout? Allez-y! Vous avez tout à fait raison: ce sera ainsi très clair qu’il s’agit des parties d’un tout. Vous y perdez en clarté et en précision dans la présentation des données, c’est tout. Le choix vous revient sur ce que vous voulez d’abord communiquer.
Aujourd’hui, dans nos formations, nous présentons quand même certaines «règles» parce que je crois aussi qu’il faut donner des outils simples et concrets à des néophytes qui n’ont que quelques heures à consacrer à ce sujet. Mais si on nous challenge et parce qu’il est impossible dans leur contexte d’appliquer cette «règle», nous leur expliquons les compromis que cela comporte.
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3. Un bon graphique doit être compris en quelques secondes
J’ai vu de nombreux exemples de graphiques complexes qui demandent une certaine acclimatation, mais qui révèlent alors une finesse d’analyse que de simples graphiques ne peuvent déployer.
Un exemple évident serait les bulles animées de Hans Rosling. Même dans une vidéo de seulement 4 minutes, il prend 50 secondes pour en expliquer chaque composante: les axes, les couleurs, la taille des bulles, les zones du graphique, etc. Le résultat: on comprend des choses que l’on ne verrait jamais dans quelques graphiques simples.
Il peut être surprenant de voir les médias publier des graphiques complexes. Après tout, le public ne doit pas avoir la patience de les déchiffrer. Et pourtant, ces graphiques captivent un public qui se plaît à en découvrir les codes et les messages. Leur curiosité est stimulée par l’élégance d’un graphique complexe qui en vaut la peine.
Ma philosophie maintenant est que chaque graphique doit récompenser l’effort qu’on y met. S’il procure peu d’information, alors en effet il doit être simple et intuitif. Mais s’il peut révéler quelque chose de profond et complexe, alors il peut être aussi complexe que nécessaire, même si ça prend un moment pour comprendre son fonctionnement.
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4. Edward Tufte est un prophète/ obsolète
En 2004, je préparais une formation sur l’économie politique quand, à bout de nerfs, j’ai cherché sur Internet «powerpoint sucks» ou quelque chose comme ça. C’est ainsi que j’ai découvert PowerPoint is Evil et du même coup, Edward Tufte et le design d’information.
Ce fut une révélation pour moi. Je découvrais cette combinaison d’analyse et de design. J’ai dévoré tout ce que je pouvais lire sur le sujet. J’étais un fan instantané de Tufte.
C’est à force d’étudier le domaine, de pratiquer la visualisation et d’écouter la communauté que j’ai réalisé que Tufte ne représentait qu’un courant du design d’information. Ses façons de faire, ses convictions, ses enseignements ne sont pas le fin mot de l’histoire.
Comme il est courant d’avoir un coup de cœur pour les enseignements de Tufte quand on découvre le design d’information, il est assez courant ensuite de se retourner contre lui et les limites de ses enseignements.
Ce n’est pas étonnant. Son approche est dogmatique, peu soutenue par l’évolution des connaissances et au mieux limitée à un contexte étroit. Il est difficile de le prendre au mot.
Mais il demeure un penseur et un pédagogue du domaine qui a contribué énormément à sa visibilité. Vous trouverez beaucoup de spécialistes, de tous horizons et avec des approches très variées, qui ont d’abord découvert le design d’information par Tufte.
Surtout, Tufte articule très bien le pourquoi de son amour du design d’information. Cette soif de comprendre et de faire comprendre. Son émerveillement pour les classiques de Galilée ou Minard est contagieux. Ce désir de faire parler les données, d’y découvrir quelque chose d’invisible à l’œil nu grâce à la visualisation, puis cette opportunité de le communiquer. Tout ça demeure encore pertinent aujourd’hui.
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5. Les gens sont trop occupés pour lire des choses complexes
Voici sans doute l’un des sujets sur lesquels je suis le plus à contre-courant. J’entends partout qu’il faut faire plus court, plus simple, plus direct parce que les gens n’ont juste plus le temps de lire™.
Mais ce n’est pas vrai. Les travailleurs·ses de l’information lisent toute la journée: courriels, rapports, journaux, etc. Des dizaines d’heures par semaine à lire.
Le vrai problème est la quantité d’informations qui nous est présentée. Notre attention est une denrée très recherchée. Le défi pour les producteurs de contenu n’est pas la brièveté, mais la pertinence et la qualité.
Si vous êtes intéressant·es, si vous êtes pertinent·es, si vous êtes drôles, vous serez lu·es. La barre est plus haute qu’avant, mais les gens ont tout autant sinon plus de temps pour lire que jamais. Ne faites pas plus court — faites mieux.
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6. Le produit parle de lui-même
Quand j’ai commencé dans le domaine, je recevais le matériel de mes clients par courriel, puis je faisais mon travail, que je leur envoyais par courriel: le design, la mise en page, les graphiques. J’attendais quelques jours pour leurs réactions. Très souvent, trop souvent, elles reflétaient l’incompréhension de mon approche.
Ce n’est qu’après 7 ans de pratique que j’ai commencé à organiser des rencontres pour présenter la première version de notre travail. Cela nous permet de nous expliquer en direct et surtout de répondre aux questions immédiates des client·es avant qu’ils ou elles ne s’enfoncent trop dans leur perception.
Si cette approche vous intéresse, j’ai mis par écrit quelques trucs que nous utilisons aujourd’hui pour convaincre nos clients.
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7. Les formations servent à devenir designer d’information
J’ai commencé à donner des formations en visualisation avec l’idée que les participant·es en appliqueraient les principes pratiques communiqués.
J’ai changé d’idée en travaillant ensuite avec d’ancien·nes participant·es aux formations. J’ai eu le choc de voir que plusieurs des principes de bases, pourtant démontrés clairement, discutés et appliqués lors d’exercices étaient apparemment oubliés quelques mois plus tard.
Alors à quoi servent les formations?
À faire découvrir le domaine à quelques personnes qui vont être allumées par ce qu’elles apprennent. À identifier dans un groupe, les personnes qui ont un sens du design d’information et qui vont vouloir approfondir ce sujet qui leur paraît si intéressant, si évident même. Les organisations doivent miser sur ces gens pour devenir des ressources à l’interne, plutôt que de s’attendre à ce que tout le monde devienne designer d’information.
Une autre utilité pour les organisations de suivre une formation est de créer une ouverture au changement dans la culture d’entreprise. Les participant·es ne se rappelleront peut-être pas activement de tout, mais ils·elles ont maintenant une connaissance passive qui leur dit que les façons de faire habituelles méritent d’être revues. Qu’il y a des gains à changer les méthodes de visualisation. C’est pourquoi je crois fermement qu’il faut que les gestionnaires en particulier assistent à ces formations.
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8. Il faut maîtriser plusieurs domaines pour être designer d’information
La collecte, la gestion et l’analyse de données, le design, l’écriture, la programmation, l’esthétique, la typographie, les couleurs et j’en passe. Le design d’information est à la confluence de multiples domaines.
J’ai cru pendant un moment, et je lis encore souvent, qu’il faut les maîtriser tous pour être designer d’information.
Il est vrai que certaines stars du domaine combinent ces talents. Je pense à Moritz Stefaner, Shirley Wu, John Burn-Murdoch, Gregor Aisch et bien d’autres. On les appelle des licornes.
Mais il y a aussi de nombreuses stars qui ont des habiletés bien précises. Giorgia Lupi et Stephanie Posavec ne font pas de programmation à ma connaissance. Mike Bostock est connu pour avoir créé le langage de programmation D3. Cole Nussbaumer Knaflic se concentre sur l’enseignement. Alberto Cairo a un rôle prépondérant grâce à son talent de penseur et de connecteur de la communauté.
L’important est de trouver sa place, sa force. Cherchez ce qui vous allume et évitez ce qui vous ennuie. Soyez les meilleur·es ou simplement très bon·nes à ce que vous faites et votre marché vous trouvera dans votre zone de génie.
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9. Les mots sont moins importants que le visuel dans un graphique
C’est le visuel qui saute aux yeux quand on voit un graphique. C’est ce qui contient l’encodage. C’est normal d’avoir l’impression que c’est le plus important. C’est ce que je pensais aussi au début.
Mais pour comprendre ce visuel, il faut lire le texte. C’est ce texte qui donne un sens aux formes, qui sont quant à elles souvent déjà vues — une tarte avec de nombreuses pointes, une ligne de tendance qui pointe vers le haut, un histogramme de distribution normale.
J’ai vu des graphiques à trois colonnes incompréhensibles. En revanche, j’ai vu des nuages de points connectés éclairés par quelques annotations.
Chez Voilà:, il arrive que le texte nous prenne plus de temps que le visuel à développer. Comment formuler le titre? L’échelle? L’unité? La légende? Dans certains projets, ce fut le défi principal.
Les formes communiquent les données, mais le texte communique le sens.
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10. Le design d’information connaît une croissance fulgurante
Quand on arrive dans un nouveau domaine, il est difficile de savoir s’il est en croissance rapide ou bien si c’est nous qui le découvrons à mesure.
Le design d’information a tellement de sens à mes yeux, sa valeur est tellement claire, que j’ai d’abord anticipé une croissance exponentielle en très peu de temps.
Or, oui le design d’information est en croissance, mais elle est plus graduelle que ce à quoi je m’attendais, plus linéaire disons. Par exemple, je n’aurais pas imaginé que les médias canadiens évoluent si peu en 10 ans. J’avais aussi imaginé que les rapports plus techniques avec du bon design d’information seraient rapidement la norme et non l’exception.
Aujourd’hui, le design d’information est encore une niche peu connue, à un tel point que chez Voilà: nous utilisons désormais plutôt «visualisation de données» pour parler de notre travail.
Ce service va continuer de croître, sa valeur est indéniable. Je m’attends simplement à ce qu’il évolue à ce rythme régulier et qu’il prenne encore longtemps avant de rejoindre tous ceux et celles qui pourraient en bénéficier.
Et vous, avez-vous changé d’idée aussi? Sur quoi et comment? Discutons-en.
Francis Gagnon est designer d'information et le fondateur de Voilà: (2013), une agence de visualisation de données spécialisée dans le développement durable.